Un nombre record de déplacements forcés en Afrique du fait des conflits

Le nombre de réfugiés africains, de personnes déplacées et de demandeurs d'asile a augmenté de 14 % au cours de l'année écoulée, pour atteindre plus de 45 millions de personnes.


Le nombre d’Africains déplacés de force par les conflits et les régimes répressifs a augmenté pour la treizième année consécutive, dépassant les 45 millions de personnes. Ce chiffre, qui comprend les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays, les réfugiés et les demandeurs d’asile, représente une augmentation de 14 % par rapport à l’année précédente. Avec 3 % de sa population totale déplacée de force, l’Afrique compte à la fois une part et un nombre absolu de personnes déplacées de force plus importants que n’importe quelle autre grande région du monde.

Compte tenu de la croissance persistante des déplacements, la population déplacée de force en Afrique a doublé depuis 2018. Les trois quarts de ces personnes – 34,5 millions – sont déplacées à l’intérieur de leur propre pays. Cela représente un quasi-triplement du nombre de personnes déplacées à l’intérieur de l’Afrique depuis 2017. Avec 1,9 million de nouveaux déplacés internes signalés depuis le début de l’année 2024, l’Afrique accueille désormais plus de 48 % des personnes déplacées en interne (PDI) dans le monde.

La population déplacée de force en Afrique a doublé depuis 2018.

Les conflits ont toujours été le principal facteur de déplacement sur le continent. Seuls deux des pays africains comptant plus de 250 000 personnes déplacées n’étaient pas en situation de conflit. Les citoyens de ces deux pays, l’Érythrée et le Rwanda, sont confrontés à des niveaux de répression intérieure parmi les plus élevés du continent. Il est à noter que la quasi-totalité des déplacements dans ces deux pays sont externes.

Le pic des déplacements au cours de l’année écoulée est principalement attribué au conflit au Soudan, qui a enregistré une augmentation de 5,35 millions de personnes déplacées à l’intérieur du pays au cours de l’année écoulée. Le Soudan n’est cependant que l’un des neuf pays africains dont la population déplacée de force est supérieure à 250 000 personnes et qui ont connu une augmentation des déplacements au cours de cette période. Dans six pays africains, plus de 10 % de la population est déplacée de force, ce qui souligne à la fois l’ampleur et la profondeur de cette instabilité.

Les neuf pays africains qui comptent plus d’un million de personnes déplacées représentent plus de 90 % de la population totale déplacée de force en Afrique : Le Soudan, la République démocratique du Congo (RDC), la Somalie, le Nigeria, l’Éthiopie, le Sud-Soudan, le Burkina Faso, le Cameroun et la République centrafricaine (RCA). Quatre des six premières sources de déplacement forcé se trouvent en Afrique de l’Est, ce qui souligne l’aggravation des implications régionales des conflits en cours.

Cette fragilité aggravée par les conflits non résolus en Afrique est une caractéristique essentielle de l’environnement sécuritaire africain. Les pays africains accueillent plus de 98 % des réfugiés et des demandeurs d’asile africains. Ce chiffre est particulièrement remarquable si l’on considère les énormes difficultés auxquelles sont confrontés bon nombre de ces pays, dont près de la moitié sont eux-mêmes en proie à des conflits.

Voici une évaluation des pays qui connaissent le plus grand dynamisme en matière de déplacements forcés.

Soudan

12 656 000 Soudanais déplacés de force
5,35 millions de plus (augmentation de 73 %)
  • Le Soudan compte le plus grand nombre de personnes déplacées au monde et occupe la deuxième place en termes de nombre total de personnes déplacées (plus de 12,6 millions actuellement), contre près de 13,8 millions pour la Syrie.
  • La lutte pour le pouvoir entre les forces armées soudanaises (FAS) et les forces paramilitaires de soutien rapide (FSR) a débouché sur un conflit en avril 2023, dont les conséquences sur les civils soudanais n’ont cessé de s’aggraver depuis lors. Environ 1,4 million de citoyens soudanais ont fui le pays et près de 10,5 millions (dont 2,8 millions de personnes précédemment déplacées) sont des personnes déplacées à l’intérieur du pays (1 personne sur 5 dans le pays).
  • Les 5,35 millions de Soudanais qui ont été déplacés au cours de l’année écoulée ont fait du Soudan, et de loin, la plus grande source de personnes déplacées de force en Afrique, avec près de 12,7 millions. Un an plus tôt, le Soudan et la RDC étaient à des niveaux comparables (un peu plus de 7 millions).

L’augmentation des déplacements de populations africaines au cours de l’année écoulée est principalement attribuée au conflit au Soudan.

  • En outre, 909 000 personnes non soudanaises vivant au Soudan (pour la plupart des réfugiés des pays voisins) ont également été déplacées. La plupart de ces personnes ont dû retourner dans leur pays d’origine, qui sont toujours en proie à des conflits, ce qui fragilise la région.
  • Le nettoyage ethnique aux mains des FSR se reproduit au Darfour, qui connaît les pires violences depuis 2005. Selon les experts, ces violences, qui visent en grande partie la communauté Masalit, pourraient constituer des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité.
  • On estime que 25,6 millions de personnes au Soudan (plus de la moitié de la population du pays, qui s’élève à 47,2 millions d’habitants) sont confrontées à une insécurité alimentaire aiguë (phase 3 de l’IPC (crise) ou plus), dont 755 000 à la famine. Les Nations unies ont accusé les parties belligérantes de militariser l’accès à la nourriture. On estime que 2,5 millions de personnes pourraient mourir de la famine si l’accès à l’aide humanitaire n’est pas garanti.

République démocratique du Congo

8 023 000 Congolais déplacés de force
881 000 personnes de plus (augmentation de 12%)
  • La détérioration de la stabilité – principalement dans les provinces orientales du Nord-Kivu, du Sud-Kivu et de l’Ituri – a entraîné le déplacement de 752 000 personnes supplémentaires en RDC depuis le début de l’année 2024. Le nombre de personnes déplacées congolaises s’élève à 6,9 millions, le chiffre le plus élevé jamais enregistré pour le pays.
  • L’instabilité en RDC est multiforme. L’un des principaux moteurs des récents déplacements a été la conquête de nouveaux territoires et les attaques contre les installations civiles dans l’est du pays par la milice M23, soutenue par le Rwanda. La réponse indisciplinée des forces armées de la RDC et de leurs alliés de la milice Wazalendo – qui se sont livrés à des pillages, des extorsions, des enlèvements et des meurtres de civils – a déclenché des déplacements supplémentaires. Les rivalités régionales entre le Rwanda, le Burundi et l’Ouganda alimentent le soutien aux forces supplétives et risquent de dégénérer en un véritable conflit régional.
  • Des groupes criminels violents tels que les Forces démocratiques alliées (ADF) et la Coopérative pour le développement du Congo (CODECO) se sont rendus coupables de violences aveugles à l’encontre des civils, causant des centaines de morts, principalement dans le Nord-Kivu et l’Ituri, respectivement.
  • La concurrence entre les groupes armés rivaux pour les minerais essentiels (notamment l’or, le cobalt et le coltan) et le bois précieux, stimulée par la demande mondiale, a encore aggravé l’instabilité.
  • La mission de maintien de la paix des Nations unies, la MONUSCO, continue de jouer un rôle stabilisateur essentiel, en protégeant environ 6,5 millions de personnes déplacées dans le nord-est de la RDC. Cette mission comprend le déminage, les systèmes d’alerte précoce au niveau local, le renforcement des capacités judiciaires, la résolution des conflits au niveau local et les mécanismes de collaboration pour la protection des civils.

Éthiopie

3 542 000 personnes déplacées de force
119 000 personnes de plus (augmentation de 3 %)

Le conflit au Soudan a poussé plus de 69 000 Éthiopiens et un nombre presque égal de Soudanais à traverser la frontière pour se réfugier dans la région d’Amhara.

  • Cette augmentation fait suite à la baisse spectaculaire de 1,2 million de personnes de la population éthiopienne déplacée de force après la signature de l’accord de cessation des hostilités dans le Tigré en 2022.
  • Le conflit au Soudan a poussé plus de 69 000 Éthiopiens et un nombre presque égal de Soudanais à traverser la frontière pour se réfugier dans la région d’Amhara.
  • Le Programme alimentaire mondial estime qu’environ 4 millions de personnes déplacées sont confrontées à une insécurité alimentaire aiguë. Les habitants du Tigré et du nord-est de l’Amhara sont confrontés à la phase 4 (urgence) de l’IPC. Les réfugiés soudanais d’Amhara font également partie des personnes souffrant de la faim au niveau d’urgence.

Burkina Faso

Environ 3 millions de Burkinabè déplacés de force
135 000 personnes de plus (5% d’augmentation)
  • Avec la détérioration de la sécurité au Burkina Faso, on estime à environ 3 millions le nombre de personnes déplacées de force, soit plus de 10 % de la population. Ces déplacements ont été provoqués par des groupes islamistes militants qui contrôlent aujourd’hui environ 60 % du territoire du Burkina Faso et ont assiégé 75 villes.

La junte militaire du Burkina Faso a cessé de communiquer le nombre de personnes déplacées en mars 2023, date à laquelle le nombre de déplacements signalés était estimé à 2,27 millions.

  • La junte militaire du Burkina Faso a cessé de communiquer le nombre de personnes déplacées en mars 2023, date à laquelle le nombre de déplacements signalés était estimé à 2,27 millions.
  • La suspension des médias et l’intimidation des journalistes qui rendent compte de la détérioration de la sécurité limitent considérablement l’accès à des chiffres fiables sur les déplacements.
  • Les déplacements sont en outre alimentés par les violences commises par les forces de sécurité burkinabè à l’encontre des civils. Au cours des 12 derniers mois, ces forces auraient tué plus de 1 160 civils au nom de la lutte contre les groupes extrémistes violents.

Cameroun

1 262 000 personnes déplacées de force
54 000 de plus (augmentation de 4 %)
  • Les déplacements forcés au Cameroun ont été provoqués par deux conflits dans les régions frontalières, qui ont entraîné le déplacement de près de 1,3 million de personnes.
  • Dans le nord, les menaces de Boko Haram et de l’État islamique en Afrique de l’Ouest ont franchi la frontière du Nigeria au cours de la dernière décennie. Le nombre d’événements violents et de morts liés à ces groupes islamistes militants a plus que doublé au cours des 12 derniers mois. Pour la première fois, il y a eu plus d’événements violents au Cameroun qu’au Nigéria.
  • Dans l’ouest, la violence persistante est liée à la réponse du gouvernement aux deux régions anglophones du pays qui cherchent à obtenir plus de droits et une décentralisation du gouvernement. Plus de 5 500 personnes ont été tuées dans ce conflit depuis 2016.

Mali

653 000 personnes déplacées de force
57 000 personnes de plus (augmentation de 9 %)

Les déplacements forcés ont été exacerbés par la multiplication des attaques contre les civils par l’armée malienne et les forces paramilitaires russes.

  • La junte malienne a activement empêché toute activité journalistique dans le pays. Les évaluations indépendantes ont été d’autant plus limitées que la junte a exigé le départ de la force de maintien de la paix des Nations unies, la MINUSMA. Le manque d’informations qui en résulte suggère que les chiffres relatifs aux événements violents, aux déplacements forcés et à l’insécurité alimentaire sont tous largement sous-estimés.
  • Les meilleures estimations indiquent qu’en plus des 354 000 personnes déplacées à l’intérieur du pays, près de 4 millions de personnes sont confrontées à une insécurité alimentaire aiguë (supérieure au niveau 3 du PCI) au Mali.

Niger

447 000 personnes déplacées de force
65 000 personnes de plus (augmentation de 17 %)
  • Les déplacements forcés signalés au Niger ont augmenté de 17 % au cours de l’année écoulée après le coup d’État militaire de juillet 2023.
  • Le nombre de décès liés à l’insurrection islamiste militante a plus que doublé, passant de 404 à 1 265 au cours de l’année écoulée. Les groupes militants ont franchi les frontières du Burkina Faso et du Mali, déracinant des communautés dans le nord et l’ouest du pays.
  • L’escalade de la violence des groupes islamistes militants le long de la frontière avec le Mali devrait provoquer de nouveaux mouvements de population au Niger.
  • La dégradation des conditions de sécurité au Niger s’est accompagnée d’une détérioration d’un grand nombre de mesures économiques et du bien-être des citoyens.

Déplacements notables non liés à un conflit

Érythrée

665 000 personnes déplacées de force
36 000 personnes de plus (augmentation de 6 %)
  • Les 36 000 Erythréens ayant cherché refuge ou asile au cours des 12 derniers mois représentent une augmentation de 6 % par rapport à un chiffre de départ déjà important. Les 655 000 Erythréens déplacés de force signifient qu’au moins 18 % de la population a fui la répression gouvernementale.
  • L’Érythrée a connu un taux constant de déplacements forcés depuis son indépendance en 1993, en raison de l’utilisation généralisée par le gouvernement du service national illimité, des détentions arbitraires et des disparitions forcées. L’augmentation la plus récente s’inscrit dans la continuité de cette tendance et s’explique par l’instabilité en Éthiopie et au Soudan.
  • L’Éthiopie a suspendu l’enregistrement et le traitement des demandes d’asile des Érythréens en 2021, laissant de nombreux Érythréens sans statut. À la suite du conflit dans le Tigré, les réfugiés érythréens (enregistrés ou non) en Éthiopie ont subi des rafles qui ont conduit à des expulsions vers l’Érythrée. En conséquence, de nombreux Erythréens ont cherché refuge dans des pays plus lointains, où ils ont probablement reçu le statut officiel de réfugié.
  • Le conflit au Soudan a également entraîné le déplacement de nombreux réfugiés érythréens. La crainte des violences et des abus commis contre les Erythréens par la RSF ainsi que les récits du gouvernement érythréen rapatriant de force les réfugiés érythréens déplacés ont incité ceux qui le pouvaient à chercher refuge dans d’autres pays.

Diminution notable des déplacements forcés

Mozambique

578 000 personnes déplacées de force
256 000 de moins (diminution de 30%)
  • Le Mozambique a vu environ 256 000 personnes déplacées rentrer chez elles au cours des 12 derniers mois, en grande partie grâce à l’amélioration de la sécurité suite aux déploiements des forces de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) et du Rwanda contre l’insurrection islamiste militante dans le nord-est du pays, qui a fait plus de 6 500 morts depuis 2018.

Le Sud-Soudan, le Nigeria, la Somalie et le Tchad ont également enregistré une baisse des niveaux de déplacement forcé, bien que ces baisses puissent être transitoires, dues à des changements dans la méthodologie d’établissement des rapports, ou attribuables à des facteurs autres que l’amélioration des perspectives pour les personnes déplacées.